- Docteur Emmanuel Itti bonjour. Vous êtes médecin nucléaire au centre hospitalier universitaire Henri Mondor de Créteil.
Votre pratique vous amène à utiliser une technique d’imagerie médicale très particulière appelée scintigraphie. Pouvez-vous nous présenter cette technique ?
- La médecine nucléaire regroupe l’ensemble des applications médicales qui utilisent des radio-éléments, c'est-à-dire des sources radioactives.
La scintigraphie est une technique d’imagerie qui consiste à suivre à la trace la distribution, dans le corps du patient, d’éléments radioactifs introduits à très faible quantité.
Pour comprendre comment cela fonctionne, faisons quelques rappels de physique:
La plupart des éléments chimiques rencontrés dans la nature sont stables. Mais certains éléments … dits "radioactifs", sont instables c'est-à-dire, qu'au cours du temps et de manière aléatoire, ils se désintègrent pour se transformer en un autre atome aux propriétés plus stables.
Et parmi les différents types de désintégrations connues, qui ont toutes en commun qu’elles libèrent de l’énergie, celle qui nous intéresse en scintigraphie est celle qui émet un rayonnement gamma, car ce sont ces photons gamma que l'on va détecter à l’aide d’une gamma-caméra.
Plus que le cheminement de l’élément radioactif dans le corps humain, c’est sa fixation à l'intérieur de certains tissus que nous cherchons à déceler. Cela permet d’explorer de façon très ciblée l’activité de certains organes ou processus pathologiques. C’est pour cela qu’on parle d’imagerie fonctionnelle, par opposition à l’imagerie anatomique (telle que la radiographie) qui montre les contours et la densité des organes.
L’élément radioactif est donc choisi selon son affinité pour l’organe que l’on veut explorer :
On observe par exemple ici la fixation d'un traceur au niveau des poumons ce qui permet d'évaluer l'irrigation pulmonaire.
- Comment se déroule l’examen ? Je crois savoir que les préparatifs sont assez longs.
- En effet, l’examen commence bien avant la prise en charge du patient, avec la livraison tôt le matin, ou la fabrication sur place des différents radiotraceurs dans un laboratoire de radiopharmacie (dit "laboratoire chaud").
Considérons une scintigraphie osseuse par exemple. Le radiopharmacien va préparer un traceur osseux en marquant un médicament (le diphosphonate) par un radioélément (le technétium 99m).
La manipulation de médicaments, qui plus est radioactifs, impose un protocole très strict et se fait dans un environnement protégé, l'enceinte plombée. Les radioéléments sont toujours stockés et déplacés dans des containers en plomb. Quand le produit final est prêt à être administré au patient, il est placé dans une seringue, elle-même logée dans un protège seringue en tungstène. La radioactivité manipulée étant très faible, toutes ces mesures servent principalement à protéger le personnel qui est le plus exposé.
Le radiotraceur est ensuite administré au patient par injection puis on le fait patienter le temps qu'il diffuse et qu’il soit capté par l’organe cible, ici le squelette.
Dans un 2ème temps, le patient est installé sur la table d’examen sous la gamma-caméra. qui va mesurer le rayonnement émis par le patient. Par déplacement progressif de la table, on peut réaliser un balayage du corps-entier pour obtenir l'image du squelette.
Les têtes de la gamma caméra sont mobiles et pour certains examens, elles tournent autour du patient pour délivrer des images en coupe : c’est la tomoscintigraphie.
C’est le cas pour l’examen du coeur, réalisé au repos ou suite à un test d’effort.
- Quels sont les différents types d’images que l’on peut obtenir et comment les interprétez vous ?
- L’aspect des images obtenues dépend des organes que l’on étudie.
Pour la thyroïde, par exemple, qui est une glande endocrine située à la base du cou, on va injecter au patient un isotope radioactif de l'iode (l'iode 123) qui est utilisé pour la production hormonale.
L'image statique, qui est prise 2 heures après l'injection, nous renseigne d’une part sur la morphologie de la glande, mais surtout sur son fonctionnement.
Sur ce cliché par exemple, l'activité thyroïdienne est normale. Sur celui-ci par contre, on note que la glande est plus grosse et présente une hyperfixation diffuse en rapport avec un fonctionnement excessif de la glande, un dérèglement hormonal que l'on nomme hyperthyroïdie,
A l’inverse, la très faible fixation de l’iode sur ce cliché, pour un même temps d’exposition, révèle une activité thyroïdienne ralentie. C’est une hypothyroïdie.
Sur ces deux autres clichés, on identifie des formation anormales, arrondies, à l'intérieur de la glande. Ce sont des nodules. A gauche des "nodules chauds" hyperfixants et à droite un "nodule froid" hypofixant.
Dans le cas de la scintigraphie osseuse, dont on a déjà parlé, le traceur utilisé a une affinité pour les os. voici ce que l'on obtient chez un sujet sain. Les cellules cancéreuses ayant une activité métabolique supérieure à celle des cellules saines, les foyers d’hyperfixation révèleront la présence de métastases.
Voici un dernier exemple avec la scintigraphie myocardique. Après traitement informatique on obtient des images en coupe avec des zones colorées qui témoignent d’une bonne irrigation du myocarde.
La même observation immédiatement après un test d’effort révèle cette fois une zone non imprégnée par le traceur (en l’occurrence du thallium 201). Nous pouvons ainsi diagnostiquer une ischémie, c'est-à-dire une mauvaise oxygénation sans doute due à une sténose coronarienne.
- En médecine nucléaire, vous utilisez aussi le PET-scan. Est-ce vraiment différent de la scintigraphie ?
- Les lettres « P », « E », « T » sont l'acronyme anglais pour Tomographie par Emission de Positons. Le principe reste le même dans le sens où nous injectons dans le corps du patient un traceur radioactif sauf que c’est une désintégration béta+ que nous détecterons indirectement.
Je précise "indirectement" car la particule bêta + (le positon) va secondairement donner lieu à l'émission de deux photons gamma à 180°. Pour détecter les deux photons en même temps, il nous faudra une caméra particulière avec des détecteurs placés en anneau.
D'autre part, les radioéléments utilisés (comme le fluor 18) sont beaucoup plus légers (souvenez vous du technétium 99m ou de l'iode 123) et pourront donc être intégrés dans des petites molécules biologiques telles que le glucose. Ceci va nous permettre de réaliser une imagerie de la consommation de glucose des tissus.
Si on prend cette image normale, on voit essentiellement le cerveau et le myocarde qui sont des grands consommateurs de glucose, ainsi que les voies urinaires témoignant de l'élimination du traceur. Dans ces autres images, on voit des foyers de cancer car les cellules cancéreuses ont une forte demande énergétique en rapport avec leur activité de prolifération.
Les images obtenues par cette technique peuvent être superposées à l’image tomodensitométrique de la même région fournie par un scanner associé au dispositif. On combine ainsi une image anatomique (Scan) et une image fonctionnelle (PET).
- Quels sont les avantages de la scintigraphie sur les autres techniques d’imagerie ?
- La scintigraphie permet de visualiser le fonctionnement des organes de façon simple et peu invasive. Pour un patient atteint d'une maladie neurodégénerative, par exemple, l'IRM ou le scanner nous montrera des structures normales alors que la scintigraphie nous révèlera les zones du cerveau qui ne fonctionnent plus.
- Cet examen présente-t-il des inconvénients ?
- L’utilisation d’éléments radioactifs à très faible dose n’a pas montré d’effets indésirables.
Par mesure de précaution cet examen est toutefois contre-indiqué chez la femme enceinte ou en période d’allaitement.
Le personnel est quant à lui équipé de dosimètres (et de bagues) permettant de s’assurer que son exposition aux radiations restent dans les normes.